mercredi 5 janvier 2011

Pour partir l’année du bon pied – ouvrez votre dico et faites connaissance avec lui

J’ai récemment eu une discussion avec des amis qui m’ont consultée pour savoir si un mot était «accepté ou non» (lors d’une joute de Boggles). La tournure qu’a prise l’argumentation fut fort intéressante et m’a fait réaliser que l’utilisation d’un dictionnaire recelait encore quelques secrets pour beaucoup d’entre nous.

L’un des deux comparses m’a dit ceci : «Si c’est dans le dictionnaire, c’est accepté, non?» Oui et non. Ce n’est malheureusement pas si simple. L’indice le plus important à ce sujet sera la note en début de définition (généralement écrite en petites majuscules), qui peut renvoyer à un domaine spécialisé ou qui peut spécifier l’usage du mot en question.

Par exemple :
«EXACT I. 1. VX ou LITTÉR. […] 2. VIEILLI ou LITTÉR. [… ] II. MOD. […]»(1)

Il faut se référer aux premières pages du dictionnaire pour trouver le sens de ces abréviations. «VX» signifie par exemple «vieux (mot, sens ou emploi de l’ancienne langue, incompréhensible ou peu compréhensible de nos jours et jamais employé, sauf par effet de style : archaïsme)»(1).

Ainsi, les mots qu’on considère ‘d’emploi critiqué’ sont ceux précédés de la note ANGLIC. : «anglicisme : mot anglais, de quelque provenance qu’il soit, employé en français et critiqué comme emprunt abusif ou inutile (les mots anglais employés depuis longtemps et normalement en français ne sont pas précédés de cette marque)»(1). Attention toutefois de ne pas confondre avec ANGL., «anglais»(1), qui signifie simplement que le mot provient de l’anglais mais que son usage est désormais accepté en français.

Par exemple :
«SEXY adj. inv. ♦ ANGLIC. Qui est sexuellement attirant, qui excite le désir. Vêtement sexy.érotique. Une vedette très sexy.sex-symbol(1)
«WEEK-END n. m. – mot angl., de week «semaine» et end «fin» ♦ Congé de fin de semaine, comprenant la journée ou l’après-midi du samedi et le dimanche.»(1)

Ainsi, l’emploi de sexy est critiqué en français, alors que week-end est ‘accepté’. D’un point de vue normatif, donc, il faudrait idéalement corriger les termes auxquels on a accolé l’étiquette «ANGLIC.» Mais pourquoi les inclut-on au dictionnaire dans ce cas? Il semble que ce soit d’abord et avant tout l’usage d’un mot qui décide de son entrée dans le dictionnaire. Chaque dictionnaire établit donc les mots qu’il présente selon un corpus qu’il a recueilli et analysé. Et encore, tout dépend du dictionnaire utilisé.

Par exemple, l’anglicisme appointement n’apparaîtra pas dans le Petit Robert, mais apparaîtra dans le Multidictionnaire : «Anglicisme au sens de rendez-vous(2)

Tous les dictionnaires n’ont ainsi pas la même vocation; et bien que beaucoup de gens semblent croire à la vocation normative de nos dictionnaires usuels (Robert et Larousse, par exemple), cette croyance n’est pas tout à fait exacte.

Voici comment le Petit Robert définit son rôle, dans sa préface :
«Le Nouveau Petit Robert reste fidèle à son rôle d’observateur objectif, rôle qui répond à la demande des usagers du français. Il arrive qu’il donne son avis sur une forme ou un emploi, mais c’est alors par des remarques explicites qui ne peuvent être confondues avec l’objet de la description.»(1)

Il ajoute aussi une note concernant le caractère ‘incomplet’ de tout dictionnaire :
«Aucun dictionnaire de langue n’est complet au sens où il contiendrait tous les mots de la langue décrite. L’ensemble des mots utilisés en français relève d’un autre ordre de grandeur, qui d’ailleurs ne saurait être précisé. Dans le moment présent, le lexique est indéterminé, car à chaque instant des mots sont créés ou empruntés qui n’arrivent pas à la connaissance de l’ ‘‘honnête homme’’ (taxinomies scientifiques, terminologiques, etc.) et c’est tant mieux pour lui, car il n’en a aucun besoin. Pour les professionnels, on le sait, il existe des dictionnaires spécialisés. […] Aussi bien le lecteur qui cherche en vain un mot dans un dictionnaire en un volume doit-il se demander si ce vocable n’est pas trop rare ou trop spécialisé pour figurer dans un tel ouvrage, avant d’accuser le lexicographe de négligence ou de retard.»(1)

Le Multidictionnaire, pour sa part, se présente comme suit :
«Fidèle à sa position adoptée en 1988, le Multidictionnaire décrit le français de tous les francophones ainsi que le bon usage québécois. Au cours des dernières décennies, les échanges des citoyens de la planète entière se sont intensifiés. Dans ce contexte, il apparaît encore plus important d’être en mesure de distinguer les usages qui sont communs à toute la francophonie de ceux qui sont propres au Québec. Que ce soit ici ou ailleurs, il importe également de connaître les emplois admis et ceux qui sont jugés incorrects dans un registre familier, d’éviter les écueils de tous types, de pouvoir substituer aux emplois fautifs des formes correctes. […] Notre parti pris demeure celui d’informer précisément l’usager du dictionnaire, de lui fournir toutes les indications utiles afin de lui permettre de choisir et d’agencer sciemment ses mots, ‘‘à ses risques et périls, mais en connaissance de cause’’, comme l’écrit Jean-Claude Corbeil.»(2)

Ainsi, pour revenir à l’argumentation qui a eu lieu entre mes deux amis, il leur reviendrait à eux, lors de leurs joutes de Boggles, de décider quels critères et quel ouvrage de référence ils décideront d’adopter (et aussi pourquoi!), pour déterminer si un mot sera accepté ou non, puisque la réponse peut varier selon la source consultée.

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(1) [Le nouveau Petit Robert, édition 1993. Paris.]
(2) [DE VILLERS, Marie-Éva (2007). Multidictionnaire de la langue française, 4e édition. Éditions Québec Amérique inc.]

1 commentaire:

  1. Tiens! Ton billet me donne envie d'aller lire la préface de mes dictionnaires! Chouette, merci encore!

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