mardi 19 janvier 2010

Aucun est-il vraiment «toujours» singulier?

[Initialement publié sur le blog Mauvaise langue!]

Le sujet de la capsule d’aujourd’hui m’a été inspiré par ce panneau publicitaire de la compagnie Fido, panneau que j’ai aperçu dans le métro de Montréal alors que je retournais tranquillement chez moi. Si vous l’observez attentivement, vous y apercevrez un léger graffiti, inscrit en bleu, sur le «s» de aucuns, par quelqu’un qui passait par là et qui s’est senti l’âme d’un correcteur (ou d’une correctrice – mais, si vous me le permettez, je fais partie de ceux (et celles!) qui acceptent sans broncher que, en français, le masculin est «le genre non marqué», tout simplement, n’y voyant là pas même l’ombre d’une considération sexiste; ainsi, j’accepte tout à fait que le masculin inclue le féminin : vous me le pardonnez? – d’ailleurs, je reviendrai peut-être sur le sujet dans le cadre d’une future capsule, qui sait…).




Le problème de ce graffiti, donc, est qu’il a été apposé par un correcteur qui n’en avait cette fois que l’âme, et non les réelles «compétences» linguistiques qu’on aurait pu lui présumer, si je puis m’exprimer ainsi. Et d’apercevoir cette erreur, c’est-à-dire plus exactement l’ajout d’une erreur là où il ne s’en trouvait pas initialement, erreur somme toute assez courante et répandue, eh bien ça m’a fait sourire. C’est pourquoi je me suis permis d’immortaliser la chose pour pouvoir partager mon amusement.

Allons-y de la capsule grammaticale du jour, maintenant qu’est clos ce préambule : oui, le mot aucun doit, en principe, toujours être singulier. «En principe». Si vous connaissez ne serait-ce qu’un peu la langue française et vous souvenez de vos cours de grammaire à l’école, vous ne serez pas étonnés d’apprendre que le français est truffé d’exceptions (qui vous font peut-être grincer des dents?) et présente rarement une règle assez simple pour qu’on puisse trancher sans équivoque sur son application par un «oui toujours» ou «non jamais».

Voici donc le secret de l’exception concernant aucun : il est GÉNÉRALEMENT singulier, sauf dans le cas où il détermine un nom qui ne PEUT PAS être employé au singulier. Comme frais. Ou encore, mais plus rarement, sauf dans le cas où le pluriel du nom donne un sens particulier, qui soit différent du sens singulier. Par exemple, on dira : «je n’ai eu aucunes nouvelles de mon amie depuis un mois», puisqu’on ne dit pas «avoir une nouvelle de quelqu’un», le sens pluriel de nouvelles ayant ici une signification différente du sens singulier d'une nouvelle. Vous me suivez?



Ainsi, ces explications nous laissent comprendre que la deuxième affiche, celle d’Ardène, laquelle arbore fièrement aucunes exceptions pour attirer férocement la clientèle, est, elle, fautive, puisqu’on veut vraisemblablement signifier aux clients que le magasin accepte «zéro exception» quant à l’application du rabais sur les différentes marchandises. Malheureusement, cette pancarte est trop haut perchée (et aussi trop surveillée) pour subir les foudres d’un «graffiteur-correcteur», contrairement à l’annonce de Fido présentée précédemment.

Ce que Grevisse en dit :
«Aucun et nul, marquant la quantité zéro, ne s’emploient généralement qu’au singulier. Ils s’emploient au pluriel, devant des noms qui n’ont pas de singulier ou qui prennent au pluriel un sens particulier.»(1)

Ce que le Petit Robert en dit :
«Aucuns, aucunes s'emploie lorsque le nom qu'il accompagne n'a pas de singulier.»(2)

Ce que Le français au bureau en dit :
«L’adjectif indéfini aucun s’emploie principalement au singulier. Il se met cependant au pluriel avec les noms qui sont toujours au pluriel […]. Aucun se met aussi au pluriel devant un nom qui a un singulier, mais qui est employé dans un contexte où il ne peut être qu’au pluriel.»(3)

Simple, non? *sourire amusé* Ce qui est moins simple, me direz-vous, c’est de connaître ces mots qui ne s’emploient jamais au singulier. Ils sont rares, en effet, et il serait sûrement relativement facile d’en dresser la liste. C’est donc un plaisir que je me permets de vous laisser tout entier.

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(1) [GREVISSE, M. (1990). Précis de grammaire française, 29e édition. Éditions Ducolot, Paris, p. 104.]
(2) [Version électronique du Nouveau Petit Robert (1997).]
(3) [GUILLOTON, N. et H. CAJOLET-LAGANIÈRE (2000). Le français au bureau, 5e édition. Les publications du Québec, p. 319.]

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