mardi 16 février 2010

Quand une virgule vous dispense d’assister à une (possiblement ennuyante) formation

[Initialement publié sur le blog Mauvaise langue!]

La « gestion » des virgules est souvent perçue comme quelque chose de plutôt frivole, d’accessoire, d’aléatoire. On affirme parfois que la virgule permet de rythmer le texte et que c’est à l’auteur de choisir l’usage qu’il en fera. Bien sûr, quiconque possède une certaine maîtrise de la langue française sait que certaines virgules sont nécessaires, essentielles au texte. Je m’intéresse ici plutôt au cas de celles qui paraissent facultatives, soit les virgules entourant (ou non) les propositions subordonnées relatives compléments de nom (ou de pronom) :

Les employés, qui assisteront à la formation lundi matin, recevront une augmentation de salaire.

Les virgules sont-elles facultatives, ici? Nécessaires? Superflues?

Voyons ce qu’en dit Grevisse :

« Au point de vue du sens, la subordonnée relative complément de nom ou de pronom est :
Complément déterminatif quand elle restreint la signification de l’antécédent; on ne peut pas la retrancher sans nuire essentiellement au sens de la phrase; elle sert à distinguer l’être ou la chose dont il s’agit des autres êtres ou choses de la même catégorie.
Complément explicatif quand elle ajoute à l’antécédent une explication accessoire, exprimant un aspect particulier de l’être ou de la chose dont il s’agit; on peut la retrancher sans nuire essentiellement au sens de la phrase et d’ordinaire, elle est séparée par une virgule. »(1)

Le Ramat de la typographie, bien que plus bref dans son explication, reprend les mêmes faits :

« Virgule (,)
élément explicatif ou restrictif

Un élément explicatif est entre deux virgules, il explique.
Un élément restrictif est sans virgules, il restreint. »(2)

Illustrons maintenant ces explications.

1. a) Les citrons qui sont verts sont surs.
On affirme ici que seuls les citrons verts sont surs, mais que les citrons d’autres couleurs ne le sont pas nécessairement.

1. b) Les citrons, qui sont verts, sont surs.
Ici, on affirme plutôt que les citrons, de façon générale, sont surs, en ajoutant l’information qu’ils sont verts (soit de façon générale, soit en lien avec ceux dont on parle dans cette phrase, selon le contexte).

Conclusion
Ce qu’on peut conclure après ces explications, c’est qu’une virgule, ajoutée ou manquante, sans être en soi une faute, peut changer considérablement le sens du message qu’on souhaitait initialement communiquer.

Revenons à notre phrase initiale, hypothétiquement rédigée et envoyée un vendredi soir par un patron d’entreprise :

Les employés, qui assisteront à la formation lundi matin, recevront une augmentation de salaire.

Dans ce cas, tous les employés de l’entreprise auraient de bonnes raisons de se réjouir et d’aller célébrer! Et c’est le patron qui ne comprendrait pas pourquoi si peu d’employés se seraient présentés à la formation le lundi matin. Parce que ce que cette phrase dit, essentiellement, c’est que : « tous les employés recevront une augmentation de salaire ». L’information concernant le fait que ces employés assisteront à une formation n’est ici qu’accessoire et, dans le cas qui nous intéresse, purement spéculative.

Par contre, si le patron annonçait plutôt :

Les employés qui assisteront à la formation lundi matin recevront une augmentation de salaire.

On pourrait déjà se douter que probablement tous les employés se présenteraient à la formation le lundi matin. Ainsi, le patron ne se verrait pas forcé d’offrir des augmentations à tous, comme il aurait été forcé de le faire avec la phrase précédente.

La preuve que des virgules oubliées ou mal placées peuvent coûter cher ou avoir d’importantes répercussions.

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(1) [GREVISSE, M. (1990). Précis de grammaire française, 29e édition. Éditions Ducolot, Paris, p.260.]
(2) [RAMAT, A. (2008). Le Ramat de la typographie, 9e édition. Aurel Ramat éditeur, Montréal, p.180.]

jeudi 11 février 2010

Quand on a l’occasion de choisir son opportunité

[Initilament publié sur le site de Mauvaise langue!]


D’après vous, l’affiche annonçant un emploi est-elle fautive ou pas? Parler d’opportunités d’emploi, ça vous choque? Il semble que les avis soient partagés sur la question et que là où certains voient un usage inapproprié d’un mot qui calque son sens sur son homologue anglais, d’autres au contraire voient l’extension du sens initial du mot français. Voici quelques capsules déjà rédigées à ce sujet :

Office québécois de la langue française (OQLF) :
L’OQLF critique l’acception et étiquette cette dernière comme anglicisme, en recommandant d’utiliser plutôt occasion pour rendre le sens du « opportunity » anglais.

Guy Bertrand, linguiste à Radio-Canada :
Monsieur Bertrand, quant à lui, semble dire que l’emploi d’opportunité au sens de « chance » ou « occasion » est maintenant passé dans l’usage, bien qu’on puisse en éviter l’emploi en remplaçant par d’autres formules.

Trésor de la langue française :
« OPPORTUNITÉ, subst. fém.
A. Caractère opportun (de); caractère de ce qui est opportun. Synon. à-propos, convenance.
1. Opportunité de + subst. ou inf.
2. [Sans compl. prép. de]
2. a) Avoir le sens de l'opportunité. Savoir d'instinct ce qu'il convient de faire dans telle situation.
2. b) D'opportunité. De convenance, de circonstance.
B. Par méton. Occasion ou circonstance favorable. »(1)

Comme on le constate, le Trésor présente, au sens B, un sens métonymique d’opportunité, qui semble rejoindre le sens d’« occasion » qu’on juge emprunté à l’anglais. Cette interprétation métonymique est, à mon sens, fort intéressante.

Conclusion?
Ainsi, il vous revient, locuteur, d’employer l’acception d’opportunité au sens d’« occasion », en défendant votre choix sur le principe selon lequel la beauté d’une langue vivante vient du fait qu’elle évolue constamment et qu’elle est continuellement influencée par les langues qu’elle côtoie; ou alors, au contraire, de refuser d’utiliser cette acception critiquée en mettant à profit un vocabulaire riche et précis, qui existe déjà dans notre belle langue française. Le choix est vôtre : profitez-en!

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(1) Site Web Le Trésor de la Langue Française informatisé, sous l'entrée opportunité

mardi 2 février 2010

Peut-on se fier aux grammaires pour nous expliquer clairement la règle des participes passés?

[Initialement publié sur le blog Mauvaise langue!]

Le billet de vendredi dernier du Dr Gorki, qui parlait brièvement de la « fossilisation » des participes passés, m’a inspiré le sujet de la capsule de cette semaine.

Non, je ne vous rabattrai pas les oreilles avec le détail de l’accord du participe passé. Mais j’aborderai plutôt le cas particulier d’un participe passé pronominal dont l’accord fait douter les plus érudits : se fier.

Voyons l’exemple suivant :
Ils se sont fié/fiés à leur intuition.

Comment accorderiez-vous le participe ici? – fié? – fiés? Pas évident?

1re réflexion :
Participe passé employé avec l’auxiliaire être, on accorde avec le sujet du verbe. Ici, ils, donc, logiquement fiés. Tout bêtement. …Vraiment? Un doute m’assaille.

2e réflexion :
Participe passé des verbes pronominaux : on remplace, pour trouver le complément d’objet direct, l’auxiliaire être par l’auxiliaire avoir, ce qui nous donne « Ils ont fié quoi? À leur intuition. » Donc, pas de complément d’objet direct, invariable.

3e réflexion :
Euhhh… Consulter une grammaire?

L’avis de Grevisse

« Participes passés des verbes pronominaux.

N.B. – 1. Dans la question que l’on fait pour trouver le complément d’objet direct d’un verbe pronominal, on remplace l’auxiliaire être par l’auxiliaire avoir : Ils se sont imposés des sacrifices : Ils ont imposé quoi? – des sacrifices. » (1)
(…la règle commence bel et bien par un N.B.)

Selon cette première règle formulée par Grevisse, il faut se poser la question : « Ils ont fié quoi? » – pas de complément d’objet direct, donc, invariable. Ce qui revient à la 2e réflexion ci-dessus. Ouf!

Vraiment? Hmmm… pas tout à fait. Retournons voir Grevisse :

« 2. Bien se rappeler la classification des verbes pronominaux. »(1) Admettez que c’est marrant! Et Grevisse nous réfère gentiment au paragraphe concernant la classification des verbes pronominaux. Je me permettrai de vous la résumer ainsi :
- verbe pronominal réfléchi : « lorsque l’action revient, se réfléchit sur le sujet »(1);
- verbe pronominal réciproque : « lorsque deux ou plusieurs sujets agissent l’un sur l’autre ou les uns sur les autres »(1);
- verbe pronominal à pronom sans fonction logique : où le pronom « reflète simplement le sujet, sans jouer aucun rôle de complément d’objet direct ou indirect »(1);
- forme pronominale utilisée au sens passif.
Et donc, ces quatre types de participes s’accordent avec leur sujet.

Ça commence à se corser n’est-ce pas? Voilà pourquoi je vous disais que même un érudit linguiste s’y perd. Comment déterminer si se fier est un verbe pronominal à pronom sans fonction logique? Et le cas échéant, on devrait donc, dans notre exemple, accorder le participe avec son sujet : « Ils se sont fiés à leur intuition. » Retour à la 1re réflexion ci-dessus. Ouille! Comment s’en sort-on?

L’avis de Le français au bureau

Toujours pas convaincue de mon choix de type de participe, j’ai, par curiosité, ouvert mon Le français au bureau, plus ou moins confiante d’y trouver quelque information sur le sujet. À tort! J’y ai découvert l’explication la plus éclairée concernant tooooous les participes passés pronominaux : ces derniers n’ont maintenant plus aucun secret pour moi!

« Le participe passé pronominal des verbes qui n’existent que sous la forme pronominale s’accorde en genre et nombre avec le sujet du verbe. C’est aussi le cas pour les verbes pronominaux dont l’action ne se reporte pas sur le sujet et qu’on appelle verbes pronominaux non réfléchis.
[…]
Le participe passé des verbes transitifs et intransitifs employés pronominalement s’accorde en genre et en nombre avec le complément direct, s’il précède le verbe, car l’auxiliaire être est généralement mis pour avoir. Ce complément direct peut être soit le pronom se, soit un nom. »(2)


[je vous épargne ici les exceptions, lesquelles n’ont jamais de complément d’objet direct, devinant que vous avez gobé assez de théorie comme ça… mais pour les curieux, le haut de la p.351 complètera votre édification]

Eurêka! Notre verbe se fier est un verbe qui n’existe QU’À la forme pronominale (le verbe fier tout seul n’existant pas). Il s’accorde donc avec son sujet : « Ils se sont fiés à leur intuition. »

Et vous : vous seriez-vous fiés à votre intuition pour accorder ce participe passé? Pas moi!

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(1) [GREVISSE, M. (1990). Précis de grammaire française, 29e édition. Éditions Ducolot, Paris, p.203.]
(2) [GUILLOTON, N. & H. Cajolet-Laganière (2005). Le français au bureau, 6e édition. Les publications du Québec, p.350.]