[Initialement publié sur le blog Mauvaise langue!]
Le billet de vendredi dernier du Dr Gorki, qui parlait brièvement de la « fossilisation » des participes passés, m’a inspiré le sujet de la capsule de cette semaine.
Non, je ne vous rabattrai pas les oreilles avec le détail de l’accord du participe passé. Mais j’aborderai plutôt le cas particulier d’un participe passé pronominal dont l’accord fait douter les plus érudits : se fier.
Voyons l’exemple suivant :
Ils se sont fié/fiés à leur intuition.
Comment accorderiez-vous le participe ici? – fié? – fiés? Pas évident?
1re réflexion :
Participe passé employé avec l’auxiliaire être, on accorde avec le sujet du verbe. Ici, ils, donc, logiquement fiés. Tout bêtement. …Vraiment? Un doute m’assaille.
2e réflexion :
Participe passé des verbes pronominaux : on remplace, pour trouver le complément d’objet direct, l’auxiliaire être par l’auxiliaire avoir, ce qui nous donne « Ils ont fié quoi? À leur intuition. » Donc, pas de complément d’objet direct, invariable.
3e réflexion :
Euhhh… Consulter une grammaire?
L’avis de Grevisse
« Participes passés des verbes pronominaux.
N.B. – 1. Dans la question que l’on fait pour trouver le complément d’objet direct d’un verbe pronominal, on remplace l’auxiliaire être par l’auxiliaire avoir : Ils se sont imposés des sacrifices : Ils ont imposé quoi? – des sacrifices. » (1)
(…la règle commence bel et bien par un N.B.)
Selon cette première règle formulée par Grevisse, il faut se poser la question : « Ils ont fié quoi? » – pas de complément d’objet direct, donc, invariable. Ce qui revient à la 2e réflexion ci-dessus. Ouf!
Vraiment? Hmmm… pas tout à fait. Retournons voir Grevisse :
« 2. Bien se rappeler la classification des verbes pronominaux. »(1) Admettez que c’est marrant! Et Grevisse nous réfère gentiment au paragraphe concernant la classification des verbes pronominaux. Je me permettrai de vous la résumer ainsi :
- verbe pronominal réfléchi : « lorsque l’action revient, se réfléchit sur le sujet »(1);
- verbe pronominal réciproque : « lorsque deux ou plusieurs sujets agissent l’un sur l’autre ou les uns sur les autres »(1);
- verbe pronominal à pronom sans fonction logique : où le pronom « reflète simplement le sujet, sans jouer aucun rôle de complément d’objet direct ou indirect »(1);
- forme pronominale utilisée au sens passif.
Et donc, ces quatre types de participes s’accordent avec leur sujet.
Ça commence à se corser n’est-ce pas? Voilà pourquoi je vous disais que même un érudit linguiste s’y perd. Comment déterminer si se fier est un verbe pronominal à pronom sans fonction logique? Et le cas échéant, on devrait donc, dans notre exemple, accorder le participe avec son sujet : « Ils se sont fiés à leur intuition. » Retour à la 1re réflexion ci-dessus. Ouille! Comment s’en sort-on?
L’avis de Le français au bureau
Toujours pas convaincue de mon choix de type de participe, j’ai, par curiosité, ouvert mon Le français au bureau, plus ou moins confiante d’y trouver quelque information sur le sujet. À tort! J’y ai découvert l’explication la plus éclairée concernant tooooous les participes passés pronominaux : ces derniers n’ont maintenant plus aucun secret pour moi!
« Le participe passé pronominal des verbes qui n’existent que sous la forme pronominale s’accorde en genre et nombre avec le sujet du verbe. C’est aussi le cas pour les verbes pronominaux dont l’action ne se reporte pas sur le sujet et qu’on appelle verbes pronominaux non réfléchis.
[…]
Le participe passé des verbes transitifs et intransitifs employés pronominalement s’accorde en genre et en nombre avec le complément direct, s’il précède le verbe, car l’auxiliaire être est généralement mis pour avoir. Ce complément direct peut être soit le pronom se, soit un nom. »(2)
[je vous épargne ici les exceptions, lesquelles n’ont jamais de complément d’objet direct, devinant que vous avez gobé assez de théorie comme ça… mais pour les curieux, le haut de la p.351 complètera votre édification]
Eurêka! Notre verbe se fier est un verbe qui n’existe QU’À la forme pronominale (le verbe fier tout seul n’existant pas). Il s’accorde donc avec son sujet : « Ils se sont fiés à leur intuition. »
Et vous : vous seriez-vous fiés à votre intuition pour accorder ce participe passé? Pas moi!
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(1) [GREVISSE, M. (1990). Précis de grammaire française, 29e édition. Éditions Ducolot, Paris, p.203.]
(2) [GUILLOTON, N. & H. Cajolet-Laganière (2005). Le français au bureau, 6e édition. Les publications du Québec, p.350.]
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