mercredi 14 juillet 2010

Chronique d’une mort annoncée (et capsule récursive)

J’ai récemment entendu l’expression «prendre la poudre d’escampette» et je me suis demandé : utilise-t-on jamais le mot escampette ailleurs que dans cette expression figée? Est-il possible et concevable qu’un mot français ne soit utilisé qu’à un seul et même usage? Gaspillage, non? J’ai donc voulu sonder nos dictionnaires pour trouver le sens exact d’escampette et pour tenter de trouver si et comment on pouvait l’utiliser autrement qu’avec sa poudre.


ESCAMPETTE

Petit Robert
«n.f. – 1688; de escamper (fin XIVe)
VX [Vieux] Fuite. LOC. «Prendre l’escampette» (Furetière). MOD. [Moderne] Prendre la poudre d’escampette : s’enfuir, déguerpir. «Voulant te fuir […] J’ai pris, l’un de ces derniers jours, La poudre d’escampette» (Verlaine).»(1)

Larousse
«n.f. (de l’anc. fr. escamper, s’enfuir). Fam. Prendre la poudre d’escampette : partir sans demander son reste.»(2)


Le Robert nous permet ainsi d’utiliser escampette pour remplacer fuite, même s’il qualifie cet usage de «vieilli». Voilà un pas dans la bonne direction. On peut dorénavant dire, si on veut ajouter un peu de style à notre élocution : «le voleur a pris l’escampette» plutôt que «le voleur a pris la fuite». Admettez que ça fait «class», non? «Geek», plutôt? Somme toute, il semble que ça ne soit pas très contemporain.

Déçue du si peu de latitude que nous accorde escampette (il n’est pas exactement tentant d’utiliser un mot jugé «vieilli» {sauf, peut-être, par pur amusement lexical, pour les amoureux de la langue que nous sommes}), je me suis alors emballée à l’idée d’utiliser le verbe escamper (ma foi fort joli), que je ne connaissais pas encore et duquel est issu escampette. Mais mon emballement fut de bien courte durée, lorsque je m’attardai enfin aux notes «(fin XVIe(1) et «de l’anc. fr.»(2). *Interminable soupir* Rien à tirer de ce côté-là non plus alors : impossible de rescaper(a) escamper (ouh! je fais des allitérations sans le vouloir) dans notre vocabulaire, puisque escamper est malheureusement mort et enterré : il n’apparaît plus dans nos dictionnaires actuels. Diantre! Quelle déception!

Il appert donc qu’escampette est bel et bien enchaîné à sa poudre, ce qui me fait malheureusement craindre, selon le sort réservé aux mots peu usités, sa mort prochaine. Quel dommage… Il semble toutefois que ce soit le lot des langues vivantes : des mots naissent, d’autres meurent. Mais voyons plutôt ça d’un œil positif : cette «sélection lexicale naturelle» a l’avantage de nous épargner des dictionnaires en plusieurs tomes!

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(a) Oups! En voulant vérifier la grammaticalité de ma phrase concernant «rescaper […] dans notre vocabulaire» (valait-il mieux dire «rescaper […] à notre vocabulaire»?), j’ai tout à coup découvert que rescaper, le verbe, n’existe pas! Seul l’adjectif rescapé apparaît au dictionnaire!(b) *bouche bée* Me voilà donc à créer des capsules récursives (des mini-capsules à l’intérieur de plus grandes) presque à mon insu! Amusant non? Et doublement instructif, surtout. :)

(b) Je dois déjà amender mes propos : après vérification au Multidictionnaire(3), notre délicieux dictionnaire québécois, rescaper existe et signifie : «Sauver quelqu’un, le faire échapper à un danger, à une situation périlleuse.»(3)
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(1) [Le nouveau Petit Robert, édition 2004. Paris.]
(2) [Le Petit Larousse illustré, édition 1996. Paris.]
(3) [DE VILLERS, Marie-Éva (2007). Multidictionnaire de la langue française, 4e édition. Éditions Québec Amérique inc.]

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