mercredi 29 février 2012

Énigme à solutionner

Comme il s’agit d’un mot que j’entends et lis de plus en souvent, je me suis demandé si le verbe solutionner était officiellement accepté par les dictionnaires, s’il ne s’agissait pas plutôt d’un anglicisme, et, s’il était accepté, en quoi son sens différait-il de celui du verbe résoudre.

SOLUTIONNER
«v. tr. Trouver une solution. NOTE Ce mot est critiqué par de nombreux auteurs, mais il est passé dans l’usage; on pourra lui préférer résoudre, apporter une solution(1)
«v. tr. (Mot critiqué) Résoudre. Solutionner un problème.»(2)

Il semble ici que solutionner et résoudre aient exactement le même sens. Si c’est en effet le cas, demandons-nous pourquoi un deuxième verbe au sens identique au premier serait apparu.
Dérivé de solution avec la désinence -er. Verbe de formation régulière […] qui participe d’une certaine tendance de remplacement de verbes du troisième groupe, irréguliers et malaisés à conjuguer, par des verbes du premier groupe, plus simples et réguliers, comme par exemple, choir par chuter, recevoir par réceptionner, ascendre par ascensionner, requérir par réquisitionner, etc.
[…]
Ce verbe est blâmé par certains puristes (dont de nombreux professeurs de français) qui y voient l’expression d’une langue peu châtiée.

Si Adolphe V. Thomas(3) admet que «solutionner n’est pas à proprement parler un barbarisme. Il est régulièrement formé sur solution (cf.  audition - auditionner, addition - additionner, etc.)», il ajoute : «il fait double emploi avec résoudre, toujours bien vivant. Aussi vaut-il mieux s’en tenir à ce dernier verbe : Résoudre un problème.»

Pour Dupré(4) : «Disons que le mot s’est répandu chez les usagers peu cultivés […]. La formation dénominative révolutionner (d’après révolution) apparaît comme pleinement légitime parce qu’aucun verbe de base révol- n’existait en français. Mais le verbe résoudre existe. L’enseignement devrait permettre d’éliminer solutionner; mais solutionner s’explique, s’il ne se justifie pas(5)
Ainsi, on nous explique que c’est la terminaison de solutionner, construit sous la forme des verbes du 1er groupe, qui en a répandu l’usage, puisqu’elle le rend plus facile à conjuguer que le verbe résoudre, du 3e groupe, puisque plus régulier.

J’ai toutefois trouvé cette explication, qui s’éloigne quant à elle un peu des informations ci-dessus :
Ce verbe dont il faudra se garder d’abuser n’est toutefois ni plus audacieux ni plus «laid» que auditionner, réceptionner, sélectionner. Solutionner une question, c’est trouver une solution, ce qui n’est pas exactement la résoudre (Dauzat). Aussi bien la facilité de conjugaison de ce mot explique sa faveur.(6)
Pourtant, si on s’attarde à la définition de résoudre :

RÉSOUDRE
«v. tr. 1. Trouver une réponse, une solution.»(1)
«v. tr. […] 5. COUR. Découvrir la solution de.»(2)
«v. tr. 1. Trouver une solution à; élucider.»(7)

les dictionnaires démontrent clairement qu’elle équivaut à «trouver une solution». Dans ces conditions, l’affirmation de Dauzat demanderait à être étayée pour être crédible.

Ainsi, on peut bel et bien conclure ici à deux synonymes exacts. Malheureusement, le corollaire de cette découverte nous permet de craindre l’éventuelle disparition du verbe résoudre, puisque dans une langue, il est généralement inutile, d’un point de vue productif, de disposer de deux mots différents pour exprimer exactement le même sens, surtout lorsque l’un d’eux est beaucoup plus ‘facile d’utilisation’ que l’autre. Toutefois, ce qui pourrait éventuellement permettre de conserver le verbe résoudre au lexique du français serait si les deux verbes acquéraient graduellement des sens différents, ne serait-ce que par un détail. Mais ce n’est pour l’instant pas le cas, et c’est habituellement l’usage qui en décide… lentement, mais sûrement.

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(1) [DE VILLERS, Marie-Éva (2007). Multidictionnaire de la langue française, 4e édition. Éditions Québec Amérique inc.]
(2) [ROBERT, Paul (2004). Le nouveau Petit Robert. Paris.]
(3) [THOMAS, Adolphe V. (2007). Dictionnaire des difficultés de la langue française. Éditions Larousse, Paris.]
(4) [DUPRÉ (1972). Encyclopédie du bon français dans l’usage contemporain, tome III, p. 2409.]
(5) Wiktionnaire
(6) [COLIN, Jean-Paul (2006). Dictionnaire des difficultés du français. Éditions Le Robert, collection Les usuels, Paris.]
(7) [Le petit Larousse illustré 2012, édition limitée, éditions Larousse, Paris.]

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