mercredi 6 octobre 2010

Morphologie adjectivale

Ne me demandez pas d’où m’est venue cette réflexion, je ne saurais le dire. Mais je me suis demandé ce qu’avaient de particulier les verbes dire, lire, rire et voir pour que leurs adjectifs respectifs se terminent par le suffixe -ible plutôt que -able, comme la plupart des autres verbes.

Voici quelques exemples :
aimer – aimable
battre – battable
boire – buvable
faire – faisable
haïr – haïssable
jeter – jetable
joindre – joignable
manger – mangeable
mettre – mettable
prendre – prenable
recevoir – recevable
tenir – intenable
valoir – valable

Alors pourquoi :
admettre – admissible
dire – indicible
élire – éligible
lire – lisible
prédire – prédictible
rire – risible
voir – visible

Complètement intriguée (et un peu paniquée, je dois avouer) devant ce manque flagrant de contexte identifiable, j’ai continué à chercher d’autres exemples (mon côté linguiste cherche en ce moment désespérément à trouver des indices observables de régularité, pour en tirer une règle cohérente et productive).

J’ai alors choisi de trier les verbes par groupe, d’après la simple (mais logique) intuition que la variation d’un suffixe verbal (ici -able ou -ible, au sens de ‘que l’on peut X’, ‘capable de X’, où X est le verbe initial) était sûrement influencé par la terminaison du verbe.

-ABLE

1er groupe
aimer – aimable
apprécier – appréciable
assiéger – assiégeable
broyer – broyable
céder – cédable
créer – créable
envoyer – envoyable
jeter – jetable
manger – mangeable
modeler – modelable
payer – payable
placer – plaçable

2e groupe
finir – finissable
haïr – haïssable

3e groupe
aller – allable
coudre – cousable
couvrir – couvrable
faire – faisable
servir – servable
vivre – vivable

-IBLE

1er groupe
accéder – accessible
corriger – corrigible
diviser – divisible
résister – irrésistible
submerger – submersible

2e groupe
convertir – convertible

3e groupe
admettre – admissible
comprendre – compréhensible
croire – crédible
détruire – destructible
percevoir – perceptible
permettre – permissible
percevoir – perceptible
transmettre – transmissible
vaincre – invincible

*soupir*

Toujours rien à tirer comme conclusion. Comment diantre peut-on alors, avec le simple verbe infinitif, décider de la forme de son suffixe?

En farfouillant sur le Web, je suis tombée sur l’explication suivante, sur un forum langagier, qui, si véridique et fondée, expliquerait ce beau méli-mélo :

«Le suffixe -able peut se rajouter à des radicaux verbaux de la conjugaison française et former des mots non directement dérivés du latin :
recevoir, recevable
joindre, joignable
(ils joignent)
prendre, prenable (nous prenons)
connaître, connaissable…(ils connaissent)
Il permet encore de créer des mots nouveaux :
cliquer, cliquable
[…]

Le suffixe -ible s'ajoute le plus souvent directement à des radicaux verbaux latins, et ne sert pas de nos jours à former de nouveau mots.
voir, visible (supin latin visum)
parfaire, perfectible (supin latin perfectum)
ouïr, audible (infinitif latin audire)
comprendre, compréhensible (supin latin comprehensum)

Noter un cas intéressant :
croire, croyable (mot de formation populaire)
croire, crédible (mot savant; latin credere)

Mais en règle générale, pour un verbe donné, même s'ils ont le même sens, on ne peut utiliser qu'un seul des deux suffixes. Comme on t'a conseillé, voir le dictionnaire...»(1)

Pour les plus curieux d’entre vous, j’ai aussi trouvé un article(2) qui traite plus généralement du suffixe -ble. Mais attention : il s’agit-là d’une analyse linguistique plutôt poussée. La section 2.1.1 (en page 36) et la conclusion (en page 42) traitent plus spécifiquement de l’alternance -able/-ible.

Il semble finalement que mon petit questionnemment anodin ne l’était pas et que j’ai plutôt ouvert une boîte de pandore. Mais j’adore les boîtes de pandores qui parfont ma culture.

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(1) Forum du site études-littéraires.com
(2) Site persee.fr

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